Des données inédites pour estimer le bilan carbone de l’océan Arctique
Pour la première fois, la contribution au bilan carbone des algues qui poussent sur le fond marin de l’océan Arctique a été quantifiée. Ce travail réalisé par des chercheurs et chercheuses de Sentinelle Nord et leurs partenaires internationaux constitue une avancée majeure pour affiner les modèles de flux de gaz à effet de serre de l’Arctique et à l’échelle planétaire.
D’une contribution négligeable à un apport significatif
Les océans régulent le climat en captant le carbone atmosphérique et en le transformant en biomasse via la production primaire. Jusqu’à tout récemment, cette production dans l’océan Arctique était attribuée presque exclusivement au phytoplancton et aux algues microscopiques vivant sous les glaces flottantes. Or, des données inédites révèlent que les algues des fonds marins, qui couvrent plus de 3 millions de km2 dans les zones côtières de l’Arctique, jouent également un rôle important. Ces organismes seraient responsables d’une captation de 77 milliards de kilogrammes de carbone par année, soit l’équivalent de 20 % à 35 % de la production primaire annuelle par le phytoplancton de cette même région.
Évaluer la captation de carbone par les algues des fonds marins a nécessité de revoir les méthodes d’échantillonnage habituelles. Les grands navires de recherche océanique étant trop volumineux pour s’aventurer près des côtes, les scientifiques ont dû recourir à des embarcations plus petites et à la plongée sous-marine pour photographier et échantillonner les espèces qui y vivent. Combinées à des images satellitaires et à un nouveau modèle mathématique, ces observations permettent aujourd’hui d’estimer la contribution des algues des zones côtières au bilan de carbone de l’océan Arctique.
Cette percée scientifique est le fruit du travail conjoint d’une vingtaine de scientifiques provenant de neuf pays. En mettant en commun leurs données sur l’abondance et la répartition des algues des fonds marins, ils ont pu dresser le tout premier portrait de la captation du carbone de ces organismes dans l’océan Arctique. Ce travail inédit a d’ailleurs valu à l’équipe une place parmi les 10 découvertes de l’année 2024 du magazine Québec Science.
Quel avenir pour les algues des fonds marins?
Alors que l’on vient de découvrir le rôle des algues des fonds marins dans le bilan carbone de l’océan Arctique, les changements à venir dans le climat de cet écosystème pourraient brouiller les cartes. D’un côté, la banquise arctique qui s’amenuise augmentera vraisemblablement la superficie des fonds marins exposée à la lumière qui pourraient être colonisés par les algues. De l’autre, le dégel des côtes accroît l’érosion et la quantité de sédiments qui se retrouvent dans l’océan, bloquant ainsi la lumière et nuisant à la production primaire. Dans ce contexte changeant, la contribution des algues des fonds marins au bilan carbone de l’océan Arctique, et par conséquent à celui de l’ensemble de la planète, est d’autant plus importante à suivre.
Photo d'en-tête : Ignacio Garrido

« Ce que nous avons découvert, nous ne l’aurions jamais vu seul. C’est en mettant en commun les efforts de chercheurs et chercheuses de partout dans le monde que l’on a pu revisiter la façon d’estimer le bilan carbone de l’océan Arctique et ainsi contribuer à une meilleure estimation des flux de carbone globaux. »
- Mathieu Ardyna, professeur en océanographie, CNRS/Université Laval